zéphyr - you'll be the saddest part of me

Ca partait bien, de base. Une famille, deux parents qui s'aiment, qui ont vécu leur vie tranquille, des études, deux travails, lui dans la banque du coin de la rue, elle comme secrétaire médicale dans une clinique privée. Vraiment rien de bien fou. Un mariage, une lune de miel au Chili parce que allez on se fait plaisir, des vacances, des amis. L'achat d'une maison, avec un prêt à la banque et puis on était juste avant leurs trente ans, l'annonce d'une grossesse. Joie, bien sûr.
Peur aussi. Parce que madame stresse, en permanence. elle a peur d'être comme sa propre mère, absente, que son enfant soit sans cesse refourguée aux nourrisses. Elle commence à lire des livres d'éducation, d'aide parentale, que son mari trouve idiot. Lui achète une mini casquette aux couleurs de son équipe de basket. Bon bref jusque là rien de bien dramatique encore. Mais madame continue de stresser, elle cherche les maladies enfantines, elle va à des réunions de futur parent, vraiment, des tonnes de peur pour pas grand chose.
Bon du coup après, les mois passent et la naissance arrive c'est à partir de là que les choses vont se compliquer un peu, même si à ce moment de l'histoire on ne le sait pas encore. Parce que Zephyr a été assigné fille à la naissance.  On y revient, un moment, on avance de quelques années et on y revient. Vraiment encore une fois, à ce moment là, ca va encore, la peur toujours bien présente mais aussi beaucoup de joie chez ce couple. Ils ont un enfant quoi, ils sont heureux, lui projette de l'emmener voir des matchs, il se dit qu'il va commencer à mettre de l'argent de côté pour payer ses études. Des projets futurs. Peut être un petit frère, qui sait.
C'est à peu près par là que ça commence à déconner. Sa mère ne se remettra jamais d'avoir coupé le cordon. Elle regarde son enfant avec le stress de lui faire mal mais en même temps de la peur à l'idée qu'il soit sorti d'elle et qu'elle ne puisse plus le couver. Dépression, suivi d'un séjour en hôpital psychiatrique. Ambiance. Son mari est aussi triste, parce qu'il ne sait pas quoi faire mais aussi en colère, contre elle, contre leur enfant, il a cette impression que leur vie aurait dû être parfaite. Mais non. Beaucoup de déception.
Dans tout ça, l'enfance est compliquée, solitaire, beaucoup de jouet dans sa chambre, mais Zéphyr doit s'occuper seul. Sa mère revient, mais elle est distante, fuyante. Surtout quand il est petit. Plus il grandit, moins son père est là, parce qu'il peut s'occuper. Les matchs auxquels ils devaient aller, que dalle. Heureusement il y a l'école. Heureusement il y a les moments en dehors de la maison. Qu'il n'aime pas, il fait froid, gris et la peinture n'a finalement jamais été refaite. Alors les années passent dans cette tristesse ambulante où chaque Hill fuit la maison, cherche à s'occuper dehors, dans le travail, dans les cours. Zephyr rejoint des clubs de mathématique. Il a toujours été doué en calcul mental. Sa mère fait du tricot, de la peinture sur vase puis du yoga. Son père dit qu'il s'est mis au golf, en réalité il fréquente une autre femme.
Donc forcément à un moment, personne n'est surpris quand le divorce est prononcé, parce que rien ne se passait plus au niveau du couple. Et là, l'ex-épouse désormais, s'effondre. Elle pleure, tout le temps, elle ne sort plus du lit, elle hurle de douleur. Elle a craqué dit son ex-mari. Et Zephyr voit tout ça, au début de son adolescence et l'indifférence froide de son père lui donne des frissons. Sa mère s'en va, elle retourne vivre chez ses propres parents. A aucun moment elle n'aura un mot pour lui. S'ils restent en contact c'est grâce aux téléphones et encore, vraiment, un message au nouvel an, un autre aux anniversaires. Mais heureusement, finalement. Car Zephyr aura bientôt besoin de cette mère toujours fuyante.
Bon quoi d'autre. La puberté. Voilà, elle arrive, avec tous les changements. Et Zephyr va au collège, au lycée. Il s'interroge. Beaucoup. Sur lui même. Sur ce qu'il voit dans le miroir. Il se rend bien compte que ça ne colle pas à ce que lui ressent, à la réalité. Alors ce n'est pas une soudaine révélation, on n'est pas sur une transformation winx. C'est progressif. Les cheveux courts. Les jeans, en permanence. Les pulls. Les brassières qui écrasent le peu de poitrine qu'il a. Les lectures, les recherches. Les questionnements. Des discussions. Le refus de lui même, d'abord, par crainte. Le summum du dégoût de son père quand à son tour il lui a demandé une séance chez un psy. Pour parler à un autre adulte. Il ne le sait pas à ce moment là mais il a de la chance de trouver quelqu'un qui l'écoute parler, qui comprend et l'oriente. Ca continue doucement, sur des mois. Zephyr a peur de son père, de la femme qui les a rejoint dans la maison avec son jeune demi-frère. Il a peur de lui même, de la suite, de son avenir.
D'abord au lycée, il demande à des amis proches des conseils, il leur explique comment il se sent. C'est dur de mettre des mots. Progressivement et en dehors de chez lui surtout, il se fait appeler Zephyr. La première fois que son prénom est écrit sur son gobelet de café au Starbucks, il se met à pleurer, de joie.
A ce moment là, aucun autre moment heureux. Il est très différent entre sa maison et l'extérieur. Le lycée est presque un refuge où il peut vraiment être lui même. Ca ne change pas, il passe le plus clair de son temps hors de la maison. Il cherche des endroits, même en ligne où il peut être lui même. Il se fait d'autres amis, un amant puis deux, jamais longtemps. Il découvre le sexe, avec quoi il entretient une relation malsaine, comme un besoin de contact avec les autres mais toujours avec cette peur de se dévoiler. Il se sent bien, libre. Mais ça ne peut durer. Et comme le divorce, il voit venir le moment où forcément ça va exploser. Alors il décide en premier. Il attend ses dix huit ans, parce qu'il sait qu'il aurait accès à son compte épargne prévu pour ses études. Le fameux compte que son père a ouvert à sa naissance et qui ne contient pas assez pour étudier à l'université mais bref.
C'est horrible. Un documentaire sur les langoustes serait mieux vraiment. Zephyr parle à sa famille. Il y a des hurlements, des cris, son père l'insulte et montre la porte. Jamais il ne l'acceptera, pas dans sa maison, pas sous son toit. Seule sa belle mère essaie de comprendre. Elle se mit littéralement au milieu pour tenter un apaisement, qui ne viendra jamais. Zephyr l'avait vu venir pourtant. Sa valise était prête. Il connaissait son père, il savait qu'il ne l'accepterait jamais et qu'il ne comprendrait pas. Ce fut terrible de se retrouver dans le bus qui l'emmène chez ses grands parents, où il retrouve sa génitrice. Elle ne comprend pas non plus. Mais elle sourit, elle dit qu'elle va essayer. Bien sûr qu'il ne la croit pas. Il est suffisamment déçu et dégoûté par son absence pour la croire, mais voilà, il a besoin d'un toit, même temporaire. Son père ne veut plus de lui dans la maison.
Après et bien finalement, les choses vont mieux. Comme si Zephyr devait en passer par là pour avancer. Il arrête le lycée pour trouver un travail à plein temps, enchaîne les heures supplémentaires pour avoir de la tune de côté. Des démarches administratives, difficiles car il n'est pas encore majeur. Voilà pourquoi il avait besoin de sa mère, qui lui donne un peu de billet vert aussi, quand elle peut. Il finit par la quitter quelques mois après pour emménager dans cet appartement minable où une chambre s'est libérée. Dans une autre ville, Santa Flora. Où il se présente directement comme Zephyr et bon sang ce que ça lui fait du bien de pouvoir être enfin lui même. Alors c'est pas fou sa vie après tout ça. Vous le verrez toujours au supermarché discount ou bien derrière le comptoir du starbucks à vous proposez un cinnamon roll. Il force un sourire sur son visage. Il sort, quand il peut, car sa carte d'identité porte toujours son deadname. Il voit toujours sa psy, qui l'aide, qui l'a aidé à pouvoir accès aux injections de testostérone. Son corps change et continue de changer, sa voix devient plus grave au fil du temps par exemple. Mais ça va. Il se sent toujours triste et il a cette douloureuse impression de solitude qui ne le quitte pas, mais ça va. Il est triste, mais ça va. Ca pourrait être pire finalement.